Lorsqu’un donneur d’ordre néglige son devoir de vigilance et que son sous-traitant est accusé de travail dissimulé, il devient responsable, avec ce dernier, du paiement des sommes dues.
Dans un arrêt rendu le 5 juin 2025, la Cour de cassation a rappelé un point essentiel : le donneur d’ordre ne peut pas échapper à cette solidarité financière en affirmant qu’il n’a pas reçu, de la part de l’URSSAF, la mise en demeure adressée au sous-traitant. En d’autres termes, ce défaut de communication ne le décharge pas de sa part de responsabilité.

Table des matières

Lutte contre le travail dissimulé et obligation de vigilance du donneur d’ordre
Contexte général
Pour lutter contre le travail dissimulé, la législation impose au donneur d’ordre, aussi appelé maître d’ouvrage, une obligation de vigilance. Cela signifie qu’il doit exiger certains documents de son sous-traitant. Ces exigences sont mentionnées dans le Dictionnaire Paye sous la rubrique « Donneur d’ordre (obligations de vigilance et d’injonction) ».
Nature de l’obligation
Dès que le contrat dépasse 5 000 € hors taxes, le donneur d’ordre doit, à la signature du contrat et ensuite tous les six mois jusqu’à la fin des travaux ou services, s’assurer que le sous-traitant :
- respecte ses obligations sociales et fiscales (comme faire la déclaration préalable à l’embauche ou remettre les bulletins de paie),
- et qu’il est à jour dans ses déclarations et ses paiements auprès de l’URSSAF.
Ces obligations sont encadrées par les articles L. 8222-1 et R. 8222-1 du Code du travail ainsi que l’article L. 243-15 du Code de la Sécurité sociale.
Attestation de vigilance
Le sous-traitant doit fournir une attestation de vigilance remise par l’URSSAF, datant de moins de six mois, à la signature du contrat, puis tous les six mois. Ce document confirme :
- que les déclarations sociales ont bien été effectuées,
- et que les cotisations sociales ont été réglées.
L’attestation mentionne aussi l’identité de l’entreprise, le nombre de salariés et le total des salaires déclarés pour la dernière période concernée.
Vérification de l’authenticité
Le donneur d’ordre doit s’assurer que l’attestation est authentique. Pour cela, il peut :
- la vérifier en ligne sur le site officiel de l’URSSAF,
- ou en faire la demande directement à l’organisme de recouvrement en utilisant un numéro de sécurité.

Récapitulatif
Obligation du donneur d’ordre | Détails |
---|---|
Montant du contrat concerné | Supérieur ou égal à 5 000 € HT |
Fréquence de contrôle | À la signature + tous les 6 mois |
Document à obtenir | Attestation de vigilance URSSAF |
Contenu de l’attestation | Déclarations sociales + paiements des cotisations |
Moyens de vérification | Site URSSAF ou demande directe avec numéro de sécurité |
Références légales | Code du travail L. 8222-1, R. 8222-1, D. 8222-5 ; Code séc. soc. L. 243-15, D. 243-15 |
Conséquences du manquement à l’obligation de vigilance
Solidarité financière en cas de travail dissimulé
Lorsqu’un donneur d’ordre ne respecte pas son obligation de vigilance et que son sous-traitant est sanctionné pour travail dissimulé, la loi impose une solidarité financière. Cela signifie qu’il doit payer, avec ce sous-traitant, plusieurs types de sommes dues :
- Impôts, taxes et cotisations sociales obligatoires
- Pénalités et majorations réclamées par le Trésor public ou les caisses sociales
- Salaires, indemnités et charges liés aux emplois concernés
- Éventuellement, remboursement des aides publiques perçues durant la période de travail dissimulé
Ces sanctions sont encadrées par l’article L. 8222-2 du Code du travail.
Suppression des exonérations et des réductions
L’URSSAF peut également annuler toute réduction ou exonération de cotisations dont le donneur d’ordre a pu bénéficier pendant la période en question. Cette disposition s’appuie sur l’article L. 133-4-5 du Code de la Sécurité sociale.

Contestation d’une société sur la solidarité financière et production de documents
L’affaire portée devant la justice
Dans un litige jugé par la Cour de cassation le 5 juin 2025, l’URSSAF avait dressé un procès-verbal contre un sous-traitant pour travail dissimulé. Suite à cela, l’URSSAF a envoyé à la société donneuse d’ordre :
- Trois lettres d’observations
- Puis trois mises en demeure
Ces courriers l’informaient de deux éléments :
- Qu’elle allait être tenue solidairement responsable du paiement des cotisations sociales, en raison du non-respect de son obligation de vigilance.
- Que les exonérations ou réductions de cotisations sociales dont elle avait bénéficié allaient être annulées.
La contestation par la société donneuse d’ordre
La société a contesté cette décision devant la justice. Elle a réclamé que l’URSSAF fournisse la mise en demeure envoyée à son sous-traitant.
Son argument ? Elle a souligné que si l’URSSAF est tenue de produire le procès-verbal de travail dissimulé lorsqu’un donneur d’ordre conteste son contenu (comme l’ont confirmé deux décisions de la Cour de cassation du 8 avril 2021), alors elle devrait aussi fournir la mise en demeure du sous-traitant si cette dernière est liée à l’activation de la solidarité financière.
Décision de la cour d’appel
La cour d’appel n’a pas suivi cet argument. Elle a rejeté la demande de la société. En résumé, le fait que l’URSSAF n’ait pas transmis la mise en demeure adressée au sous-traitant ne remet pas en cause la mise en œuvre de la solidarité financière à l’encontre du donneur d’ordre.
Élément contesté | Position de la société donneuse d’ordre |
---|---|
Mise en œuvre de la solidarité financière | Rejetée en justice malgré la demande de production de la mise en demeure |
Document réclamé | Mise en demeure adressée au sous-traitant |
Référence juridique invoquée | Cass. civ. 2e ch., 8 avril 2021, n° 19-23728 et n° 20-11126 |
Décision judiciaire | Refus de la cour d’appel de contraindre l’URSSAF à produire ce document |
Décision de la Cour de cassation sur la communication de la mise en demeure

Position de la Cour
Le 5 juin 2025, la Cour de cassation a confirmé la décision rendue par la cour d’appel. Elle a précisé que les règles de solidarité financière prévues à l’article L. 8222-2, alinéa deux du Code du travail sont conformes à la Constitution. Toutefois, cette conformité repose sur une condition : le donneur d’ordre doit pouvoir contester la procédure engagée, la légitimité des sommes réclamées (impôts, taxes, cotisations), et les éventuelles pénalités.
Portée de la contestation possible
La Cour a rappelé que le donneur d’ordre peut faire valoir les erreurs commises lors du redressement ciblant son sous-traitant. En revanche, il ne peut pas contester la validité de la mise en demeure adressée à ce sous-traitant. Cette mise en demeure constitue en effet un acte individuel de recouvrement qui ne le concerne pas directement. Ainsi, même si elle est irrégulière, cela ne peut pas être utilisé comme argument par le donneur d’ordre contre l’URSSAF.
Absence d’irrégularité
Selon la Cour, l’URSSAF n’est pas tenue de transmettre au donneur d’ordre la mise en demeure envoyée à son sous-traitant. L’absence de communication de ce document n’affecte donc pas la légalité de la mise en œuvre de la solidarité financière à l’encontre du donneur d’ordre. La demande a ainsi été rejetée.
Deuxième tentative échouée
La société a aussi tenté de faire valoir que le sous-traitant aurait dû être directement mis en cause pendant le procès. Cette tentative a également échoué. La Cour a expliqué que l’URSSAF, en tant que créancier, peut choisir de réclamer les montants dus à n’importe lequel des débiteurs solidaires (selon les articles 1313 et 1203 du Code civil). Elle était donc libre de n’engager la procédure que contre le donneur d’ordre, sans obligation d’inclure le sous-traitant ni ses salariés dans le litige.
Élément en cause | Position de la Cour de cassation |
---|---|
Communication de la mise en demeure | Non obligatoire envers le donneur d’ordre |
Contestation de la solidarité financière | Possible sur les irrégularités du redressement, pas sur la mise en demeure |
Mise en cause du sous-traitant | Non nécessaire dans la procédure judiciaire engagée par l’URSSAF |
Base juridique | C. trav. L. 8222-2 ; C. civ. art. 1313, art. 1203 ; décision 2015-479 QPC |

Cette décision renforce le pouvoir de l’URSSAF dans les procédures de recouvrement liées au travail dissimulé. Le donneur d’ordre, tenu à une obligation de vigilance, ne peut se soustraire à sa responsabilité en contestant des documents qui ne lui sont pas directement adressés. Seules les irrégularités liées à la procédure de redressement menée contre lui ou le bien-fondé des sommes dues peuvent être valablement invoquées.