Dans un arrêt remarqué du 10 avril 2025, destiné à figurer dans son rapport annuel, la Cour de cassation a changé sa position sur un point de droit important. Elle a décidé que les majorations de retard réclamées par l’URSSAF aux entreprises – quand celles-ci déposent leurs déclarations sociales ou règlent leurs cotisations trop tard – peuvent désormais être vues comme des sanctions. Ce n’est pas automatique, mais quand c’est le cas, les juges devront vérifier si le montant est proportionné à la faute commise.
Cela signifie qu’un contrôle plus strict s’impose en tenant compte de la gravité de l’infraction commise par l’employeur. Ce revirement marque un tournant, car jusque-là ces majorations étaient perçues uniquement comme des mesures d’ordre financier, sans dimension punitive.

Table des matières
Majorations de retard URSSAF et demande de remise gracieuse
Les entreprises qui ne transmettent pas leurs déclarations obligatoires ou qui règlent leurs cotisations sociales en retard s’exposent à des pénalités financières. Ces dernières prennent la forme de majorations de retard ou d’amendes, comme le précisent les articles R. 243-12 et R. 243-16 du Code de la Sécurité sociale.
Possibilité de remise gracieuse
Un employeur peut solliciter une remise gracieuse, c’est-à-dire la réduction totale ou partielle de ces sommes. Pour cela, il doit remplir au moins l’une des deux conditions suivantes :
- Avoir payé en totalité les cotisations qui ont entraîné l’application des pénalités
- Avoir signé un plan d’apurement avec l’URSSAF compétente
Cette possibilité est encadrée par l’article R. 243-20 du Code de la Sécurité sociale, qui renvoie à l’article R. 243-19, 1°. Le Dictionnaire Paye (entrée « Majorations et pénalités URSSAF ») fournit également des précisions utiles à ce sujet.
Tableau récapitulatif
Situation de l’employeur | Conséquence | Recours possible |
---|---|---|
Déclaration non transmise | Majoration de retard | Demande de remise gracieuse |
Paiement tardif des cotisations | Pénalité financière | Remise si cotisations réglées |
Plan d’apurement signé | Maintien des majorations | Possibilité de remise partielle |
Cotisations intégralement réglées | Majoration maintenue | Possibilité de remise totale |

Les faits : des majorations pour déclaration et paiement tardifs de la C3S
Le 10 avril 2025, la Cour de cassation a examiné un litige opposant l’URSSAF Provence-Alpes-Côte d’Azur à une société mise en cause pour avoir déclaré et payé en retard sa contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) au titre de l’année 2020. L’URSSAF avait émis une mise en demeure pour réclamer les majorations de retard correspondantes.
Demande de remise gracieuse et premières décisions
Face à cette mise en demeure, la société a adressé une demande de remise gracieuse des majorations à la commission de recours amiable de l’URSSAF. Cette demande a été partiellement rejetée, poussant l’entreprise à saisir le tribunal judiciaire.
Le tribunal n’a pas accédé à sa requête. Il a notamment écarté l’argument fondé sur les difficultés organisationnelles liées aux mesures sanitaires contre la covid-19. Pour le juge, ces difficultés ne constituaient ni un événement extérieur, ni une contrainte irrésistible pouvant justifier un tel retard.
Raisonnement du tribunal
Le tribunal a souligné deux éléments :
- La société n’avait pas prouvé l’ampleur réelle de ses problèmes organisationnels.
- Elle n’avait pas informé l’URSSAF de manière claire et en temps utile.
En outre, les juges ont rappelé que la C3S repose sur une base de calcul connue ou facile à établir à l’avance, et que les obligations déclaratives ainsi que le paiement s’effectuent de façon dématérialisée. Autrement dit, selon eux, les contraintes évoquées n’avaient pas de poids suffisant pour justifier les retards.
Recours en cassation
La société, insatisfaite du jugement, a alors décidé de se pourvoir en cassation.
Tableau récapitulatif
Étapes de la procédure | Acteurs concernés | Résultat |
---|---|---|
Mise en demeure pour retard C3S | URSSAF Provence-Alpes-Côte d’Azur | Majorations de retard réclamées |
Demande de remise gracieuse | Commission de recours amiable | Rejet partiel |
Recours au tribunal judiciaire | Société | Rejet total de la demande |
Motifs du rejet | Tribunal judiciaire | Difficultés non prouvées, absence d’information à l’URSSAF |
Situation de la C3S | Juges du fond | Assiette et échéance connues, déclaration/paiement dématérialisés |
Dernier recours | Cour de cassation | Pourvoi formé |
Les arguments de la société cotisante devant la Cour de cassation
Devant la Cour de cassation, la société a soutenu que les juridictions chargées du contentieux en matière de Sécurité sociale devaient évaluer si une sanction appliquée par un organisme comme l’URSSAF était proportionnée à la gravité de la faute commise.
Contestation du montant des majorations
Elle estimait que le tribunal judiciaire avait l’obligation de vérifier, comme elle le demandait, si la double majoration de retard de 7,6 %, équivalente à un montant total de 25 936 €, n’était pas excessive. La société insistait sur deux éléments :
- Le retard n’avait duré que 25 jours
- Ce retard s’inscrivait dans un contexte de crise sanitaire durant lequel les reports de paiement étaient largement admis
En s’abstenant de procéder à ce contrôle de proportionnalité, le tribunal aurait, selon la société, violé l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui garantit le droit à un procès équitable.
Référence à la Convention européenne des droits de l’Homme
La société rappelait que cet article impose à toute juridiction de juger de manière équitable, indépendante et impartiale, non seulement dans les litiges civils, mais aussi lorsqu’une personne fait face à une accusation ayant une portée pénale.
En complément, elle citait la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui reconnaît que certaines procédures administratives ou fiscales peuvent entrer dans le champ de l’« accusation en matière pénale » lorsque leur objectif est punitif. Cela s’appliquerait notamment à des cas comme celui-ci, où une sanction financière importante est en jeu.
La jurisprudence applicable depuis 2002 : les majorations de retard ne sont pas des sanctions
Dans son arrêt du 10 avril 2025, la Cour de cassation revient sur une jurisprudence bien ancrée qui, depuis plus de deux décennies, considérait les majorations de retard comme des ressources financières au même titre que les cotisations sociales.
Une position constante depuis 2002
Selon deux décisions anciennes (Cass. soc., 23 mai 2002, n° 00-12309 D et Cass. civ. 2e, 24 mai 2005, n° 03-30634 D), les juges estimaient que :
- Les majorations de retard faisaient partie intégrante des ressources des organismes sociaux. Elles avaient donc la même nature juridique que les cotisations dues.
- Les litiges relatifs à ces sommes relevaient du champ civil au sens de l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Par conséquent, le rôle du juge se limitait au respect de la procédure, à la vérification des faits et à l’application des règles de droit. Il ne s’agissait pas pour lui de juger la sévérité de la mesure.
Absence de caractère punitif
Dans l’analyse de l’arrêt, notamment dans l’avis de l’avocate générale et le rapport de la conseillère, il est rappelé que cette position se fondait sur l’idée que les majorations ne sanctionnaient pas un comportement fautif. Elles servaient à compenser un surcoût administratif causé par le retard du cotisant. L’URSSAF devait engager des démarches supplémentaires, ce qui justifiait cette compensation.
Ainsi, tant qu’elles n’étaient pas perçues comme punitives, les majorations échappaient à un examen de leur proportion par rapport à la gravité de la faute.
Nouvelle position de la Cour de cassation : les majorations de retard peuvent être considérées comme punitives
Dans une décision rendue le 10 avril 2025, la Cour de cassation a changé sa manière de voir les majorations de retard imposées par l’URSSAF. Ce revirement fait suite à une décision importante du Conseil constitutionnel datant de 2018. À l’époque, celui-ci avait reconnu que le législateur avait introduit une sanction à visée punitive en punissant le non-respect des obligations liées à la C3S par une majoration (Cons. const., décision n° 2018-736 QPC du 5 octobre 2018).
Une distinction désormais essentielle
Partant de ce constat, la Cour de cassation a estimé nécessaire de revoir la jurisprudence en vigueur depuis 2002. Elle reproche à cette ancienne approche de ne pas avoir différencié deux choses :
- D’un côté, les majorations qui ressemblent à des intérêts de retard, dont le but est de compenser un préjudice
- De l’autre, celles qui peuvent être perçues comme de vraies sanctions, ayant pour objectif de punir une faute
Cette distinction est désormais cruciale, car elle entraîne des conséquences juridiques importantes pour les employeurs.
Revirement de jurisprudence et droits des cotisants
En décidant que certaines majorations de retard peuvent avoir un caractère punitif, la Cour de cassation ouvre la porte à un contrôle judiciaire plus poussé. Désormais, quand l’URSSAF inflige ce type de sanction, le cotisant concerné peut faire appel à l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui garantit un procès équitable.
Concrètement, si un employeur conteste une décision de l’URSSAF rejetant tout ou partie d’une demande de remise gracieuse, le juge devra vérifier si le montant de la sanction est proportionné à la gravité des manquements reprochés.
Vers un rééquilibrage entre URSSAF et cotisants
Ce changement ouvre une nouvelle voie pour les entreprises. Elles peuvent désormais espérer que les juges réduisent les majorations de retard si celles-ci apparaissent comme excessives au regard des faits.
Tableau récapitulatif
Événement juridique | Date/Source | Portée et conséquence |
---|---|---|
Décision du Conseil constitutionnel | 5 octobre 2018, QPC n° 2018-736 | Reconnaissance du caractère punitif de certaines majorations |
Jurisprudence de la Cour de cassation (ancien) | Depuis 2002 | Pas de distinction entre intérêts compensatoires et sanctions |
Nouvelle position | Arrêt du 10 avril 2025 | Reconnaissance de la nature punitive de certaines majorations |
Application de l’article 6 § 1 CEDH | Cour de cassation, 2025 | Obligation de contrôle de proportionnalité par le juge |
Conséquences pour les cotisants | Désormais possible de contester le montant | Ouverture à une réduction judiciaire des majorations URSSAF |
Quelles majorations de retard peuvent être considérées comme des sanctions réduites par le juge ?
Dans sa décision du 10 avril 2025, la Cour de cassation apporte une précision importante : certaines majorations de retard appliquées par l’URSSAF peuvent être qualifiées de sanctions, dès lors qu’elles visent à punir un comportement et à en décourager la répétition.
Critère de la finalité répressive
Selon la Cour, une majoration a un caractère punitif si elle ne se limite pas à compenser un préjudice, mais cherche aussi à sanctionner l’entreprise qui n’a pas respecté ses obligations déclaratives. Autrement dit, dès que l’objectif est de dissuader ou de corriger une attitude, on entre dans le champ de la sanction. Ces majorations, considérées comme punitives, peuvent donc faire l’objet d’un contrôle de proportionnalité par le juge et, potentiellement, d’une réduction.
Application concrète à la C3S
Dans l’affaire à l’origine du revirement, deux types de majorations étaient en cause :
- La majoration pour déclaration tardive du chiffre d’affaires : Cette pénalité est désormais vue comme une sanction à part entière. Elle vise à rappeler aux entreprises l’importance de respecter leurs obligations déclaratives, essentielles au calcul de la C3S (article L. 137-36, I du Code de la sécurité sociale). Elle a donc un objectif de répression et de prévention, ce qui lui donne un caractère punitif.
- La majoration pour paiement tardif : En revanche, celle-ci est considérée comme une simple compensation. Elle a pour but de réparer le préjudice financier subi par l’URSSAF, comme le ferait un intérêt de retard (article L. 137-37 du Code de la sécurité sociale). Elle ne cherche pas à sanctionner, donc elle ne peut pas être réduite par le juge.
Rôle du juge après le revirement
Avec cette nouvelle lecture, les juridictions doivent désormais examiner au cas par cas si la majoration contestée remplit une fonction punitive. Si c’est le cas, le juge doit alors évaluer si la sanction est bien proportionnée à la gravité du manquement reproché.
Dans l’affaire traitée, la Cour de cassation a estimé que le tribunal judiciaire aurait dû effectuer ce contrôle pour la majoration liée à la déclaration tardive.